mardi 30 mars 2010

Réseaux sociaux : vers un panoptisme 2.0 ?

Mardi dernier, les députés UMP se sont réunis pour faire le bilan de l’échec de la majorité aux élections régionales. Durant cette rencontre, quelques personnes présentes livraient les meilleurs moments aux internautes curieux via leur compte Twitter. Parmi eux, le député Lionel Tardy, qui a expliqué son initiative sur son blog dans un billet fort intéressant.

Pour lui, « Internet, c'est plus de transparence. Il va falloir s'y faire et modifier nos comportements. […] Le niveau d'exigence des électeurs en matière de transparence ira croissant. Ils accepteront de moins en moins que des réunions importantes se passent à huit clos, que des documents ne soient pas accessibles. C'est un mouvement inéluctable ».

A la lecture de ce passage m’est revenu par bribes un concept développé notamment par Michel Foucault dans Surveiller et punir, le panoptisme.
 
Le panoptisme, qu’est-ce que c’est ?
Le concept a originellement été développé par Jeremy Bentham au 18ème siècle. Celui-ci avait alors imaginé une prison dont la structure permettrait « à un individu, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont observés », l’objectif étant d’imposer une certaine autodiscipline aux prisonniers. Michel Foucault revisitera ce concept dans les années 70 d’un point de vue plus sociologique, afin de « décrire tous les mécanismes de surveillance et de discipline qui sous-tendent les institutions ».

Plus récemment, Olivier Aïm, maitre de conférence au CELSA, s’est servi de ce concept pour analyser le phénomène de la téléréalité. La revue Communication et Langages nous explique que pour lui, « la téléréalité engage un jeu de surveillance […] notamment à travers ses "dispositifs" (Big Brother) et ses promesses (vous allez tout voir !). […] En proposant le spectacle de la surveillance, la téléréalité organise également la mise sous surveillance de ses spectacles ». Les caméras jouent le rôle de la tour centrale. Les participants sont observés constamment. Et de fait, ils agissent en fonction. On le voit aujourd’hui dans une émission comme La Ferme, avec un Mickaël Vendetta qui joue avec cette caméra, conscient d’être continuellement observé. D’ailleurs, Michel Foucault considérait déjà dans Surveiller et punir que « nous ne vivons pas dans une société du spectacle mais dans une société de la surveillance ». Par ailleurs, Olivier Aïm rappelle également que la notion de panoptisme implique, par le regard vertical, le jugement de celui qui surveille



Photographie intérieure d'une prison à Presidio Modelo, Isla De la Juventud, Cuba (crédit : Wikipédia)


Les réseaux sociaux nous amènent-ils vers un « panoptisme 2.0 » ?

Aujourd’hui, Twitter joue le rôle de la tour centrale de la prison imaginée par Bentham. Du haut de notre tour, on surveille et on juge. A peine Eric Besson dit-il que « Nicolas Sarkozy a raison, il faudrait passer les médias à la kalachnikov » que sa phrase assassine se retrouve jetée en pâture aux internautes qui ne manquent pas de juger le ministre mal-aimé. De manière générale, les twitterers – et moi le premier – sont à l’affut des moindres #fail (gros plantage en langage normal) et autres #lol (un truc super drôle) qui les occuperont toute la journée. On se gausse, on ricane, on critique, on juge. On retrouve ce regard vertical qu’évoquent Michel Foucault et Olivier Aïm. On regarde la société de haut, non sans un certain mépris parfois. On scrute les moindres faits et gestes de nos élites, en attendant le faux pas. Cette surveillance de tous les instants finira, à termes, par provoquer une autorégulation de la part des personnalités surveillées.

Et cela a déjà commencé, comme le montre par exemple l’intérêt pour ces « nettoyeurs du net », qui effacent toutes vos traces sur Internet. On fait plus attention en soirée, de peur de retrouver des images compromettantes sur Facebook. On fait attention à ce que l’on dit sur Twitter et sur les blogs. L’Etat remplit nos rues de caméras et les individus répondent à coups de twitpics (photos postées sur Twitter). Bienvenue dans l’ère de la surveillance à outrance et du jugement continu. Désormais, nous sommes tous des Big Brother en puissance. Orwell n’a qu’à bien se tenir !

Aucun commentaire: